L’amour ne fait pas tout. 

Depuis quelques temps, j’ai envie d’écrire sur le couple interracial Noir-Blanc. C’est un sujet assez épineux (encore plus quand on est soi même dans une relation interraciale) mais il est temps de me lancer. ATTENTION CA VA ETRE LONG !

Mes recherches me poussent à constater que la question du couple interracial est une question qui interroge en France depuis des décennies (si ce n’est des siècles). Des #ToutestNoirSaufNosMeufs et autres #BaeBlanc sur Twitter en passant par la prise en compte des couples métis comme facteur d’intégration des populations dites minoritaires (aka racisées) à la population « majoritaire » (aka Blanche française) dans une enquête sociologique de qualité, le sujet du couple interracial « Blanc-Noir » est partout. Il est bon de creuser ce sujet de manière plus profonde.
Retour sur un passé compliqué.

Il fut un temps, sous l’ordre colonial où les relations entre les femmes indigènes (d’abord esclaves, puis colonisées) et les colons (administrateurs, militaires, fonctionnaires) d’abord tolérées, furent interdites : en effet, les colons redoutaient une situation qui brouilleraient la hiérarchie raciale dans les colonies avec des descendants de ces unions revendiqueraient des droits civiques plus importants, voire la liberté et l’égalité. Les unions maritales et le concubinage sont donc interdits dans les territoires colonisés. De plus, les corps des femmes indigènes, hypersexualisés et déshumanisés par les colons, ne sont pas à l’abri de viols, outil qui marque la domination masculine coloniale dans les corps. La sexualité des femmes africaines notamment est masculinisée, perçue comme étant monstrueuse et prétentument débridée, ce qui les sortiraient du genre féminin et justifieraient un traitement indigne. ( Voir La Matrice de La Race d’Elsa Dorlin, Des rLuttes et des Rêves de Michelle Zancharini-Fournel)

Pendant la période coloniale, à Paris cette fois, on constate pendant l’Entre Deux Guerres, un nombre important de couples mixtes hommes noirs – femmes blanches, notamment dans les milieux anticolonialistes, antiracistes et anti-impérialistes de l’époque. Dans le livre Colonial Metropolis, Jennifer Boittin nous raconte l’histoire d’hommes noirs, intellectuels antillais, anciens soldats colonisés venus du Sénégal ou d’autres pays d’Afrique, qui ont des relations avec des femmes blanches, celles-ci participant même aux réunions de groupes comme l’Union des Travailleurs Nègres (UTN). Certaines sont mêmes fichées au Bureau des Affaires Indigènes (une institution étatique qui surveillait les groupes anticolonialistes à Paris) au même titre que les hommes. Les mêmes militants, horrifiés par les traitements de certains coloniaux à l’égard des femmes indigènes voyaient d’un très mauvais oeil les relations quelqu’elles soient entre des femmes africaines et les hommes blancs, explique J. Boittin. Certaines étaient vues comme des traîtresses à la cause, potentielles informantes de l’ennemi (et il y en eut). De plus, selon Boittin, les militants percevaient cela comme une perte d’une masculinité déjà éprouvée par les affres de l’esclavage et de la colonisation. D’abord mis arbitrairement ( de manière barbare, il faut le dire) au ban de l’humanité puis privés de leurs droits civiques et de citoyens en tant que sujets colonisés, ces intellectuels et militants qui pour certains avaient également payé l’impôt du sang pendant la Première Guerre Mondiale ne supportaient pas l’idée de perdre « leurs » femmes (cf Boittin). Les relations avec des femmes blanches dérangeaient moins du fait de l’organisation patriarcale des relations amoureuses : les femmes blanches n’étaient pas vues comme conquérantes ou colonisatrices, à l’inverse des hommes blancs, mais plus comme conquises -parfois grâce à des clichés fétichisants- . De plus, la figure de la « femme blanche », Parisienne de surcroît, incarnait l’idéal de féminité (ce qui évidemment ne protège aucunement des violences physiques) et certains voyaient à travers l’amour de femmes blanches, l’amour enfin accordé de la nation France, amour et reconnaissance absents dans tous les autres domaines. Jennifer Boittin explique que certains des militants restés à Paris associent les corps et le coeur des femmes noires, peu nombreuses dans ces milieux, souvent restées dans les territoires colonisés, comme une incarnation de la mère-patrie ou, fidèle, à protéger et à défendre (=> implication très forte d’un regard patriarcal sur des corps qu’ils voient comme « les leurs » ) mais temporairement (ou pas) lointaines, et l’amour des femmes blanches comme prestigieux, à proximité physique,moyen de rétablir leur masculinité, voire l’accession à la nationalité française.

6ca51be876d2a0de6fedc17f5a3d63ca
Couple au Bal de la rue Blomet dit Bal Nègre, Paris 1932. Source ACHAC

Exotisations et fétichisations des corps des personnes Noires étaient bels et bien présents dans une capitale coloniale qui s’extasiait devant Joséphine Baker, d’ailleurs Jeanne Nardal parlent de la négrophilie et des clichés qui peuplent la littérature française de l’époque dans son texte  » Pantins Exotiques« . C’est intéressant d’observer ces deux phénomènes historiques pour voir que la question du couple mixte n’a rien de banal ni d’anodin. D’ailleurs, au début des années 20, Suzanne Lacascade, une auteure antillaise, en fait l’un des thèmes principaux de son roman Claire-Solange, Âme Africaine qui décrit la rencontre entre une jeune Antillaise métisse et un noble blanc à Paris à la veille de la Première Guerre Mondiale. Son héroïne, Claire-Solange évoque la question de l’exotisation des Antilles par les Blancs, de la misogynie, du racisme, du traitement des Africain.es colonisées.

« Blak c’est Blanc sans le « HaiNe » : oui, mais encore…

index
Le « Swirl » : un mot utilisé pour définir les couples interraciaux, très présent sur Tumblr notamment (je suis très perplexe)

Depuis quelques temps, en France notamment , certains illustrent la fin du racisme par la présence et/ou l’augmentation de couples interraciaux. Les exemples choisis montrent que la formation de couples interraciaux Blancs/Noirs n’annulent en rien les dynamiques raciales qui existent dans les sociétés et au sein des couples. Il est intéressant d’observer la prégnance des clichés racistes et coloniaux les corps des racisé.Es, qui nous suivent jusqu’en 2017 et qui seraient maintenant censés être positifs dans le jeu de la séduction. On parle toujours de l’hypermasculinité noire à travers l’évocation d’attributs sexuels de taille démesuré, la fameuse phrase  » Les mecs Noirs en ont des grosses » : le cliché renvoyant à la « poutre de Bamako » reste omniprésent dans le porno notamment. De la même manière, les femmes Noires sont renvoyées à une hypersexualité sauvage  » Panthère, Jungle Fever, » encore plus courante sur les appli de dating.

tumblr_inline_ojkwm9ILZh1r674on_540
Une technique d’approche très courante A BANNIR. Source : Tumblr

.

On parle un peu moins des questions de racisme qui peuvent exister dans l’entourage de la personne blanche.. Si ces questions ne sont pas évoquées au sein de la relation, elles peuvent entrainer un isolement de la personne racisée, une fatigue mentale et toutes les conséquences qui peuvent découler d’une exposition du racisme dans la sphère intime, l’expérience du racisme ayant des impacts sur la santé mentale. De même, certaines questions de hiérarchie raciale intériorisées restent sous silence : dans une relation, la personne blanche peut être potentiellement vue comme un signe d’avancement social, voire même de prestige (et la personne noire devient un repoussoir à éviter par tous les moyens). Dans une relation hétérosexuelle, le statut misogyne de « trophée prestigieux » de l’idéal-type « femme blanche », vue comme étant la représentation de l’idéal de la féminité à protéger dans un contexte d’hégémonie des canons de beauté euroaméricains, peut perdurer dans certaines relations interraciales et est peu voire pas discuté. De la même manière, une femme noire peut aussi choisir exclusivement de sortir avec un homme blanc, parce que c’est sa représentation d’une relation socialement prestigieuse et acceptée voire encouragée. Combien de fois ai-je entendu ça ?! Un homme noir peut aussi être réduit comme un outil de « rébellion » ou de « provocation » face à une famille ouvertement raciste, ce qui le déshumanise totalement. Une femme noire peut également être l’objet d’une dévalorisation totale en étant cantonnée au rôle fêtichisant de « divertissement sexuel », « expérience à tester » qui la maintient hors du cadre amoureux.

On peut par ailleurs s’interroger sur le fait que la présence de racisés dans l’espace médiatique français, au travers des fictions notamment, se fassent souvent dans le cadre de relations interraciales mais moins dans le cadre de relations entre personnes racisé.Es. Comme si dans la hiérarchie du couple idéal (je parle du monde hétérosexuel qui m’est plus familier), le couple de personnes racisé.es était au plus bas de l’échelle.

index3
Si c »était si « colorless » pourquoi ça sort autant de l’ordinaire ? La naiveté c’est bien mais bon.

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas d’amour possible dans les relations interraciales consenties ? Évidemment que non. Est-ce que je suis en train de dire que les couples interraciaux sont une aberration, qu’il ne faut pas qu’ils existent, etc ? Toujours pas (et ce serait vraiment ridicule de ma part). Est-ce que je suis en train de dire que les femmes noires attirées par des hommes en particulier devraient se limiter à sortir avec des hommes noirs ? Mon coeur d’afroféministe ne peut s’y résoudre, je pars du principe qu’une femme noire a le droit de trouver son bonheur et sa paix où qu’ils soit, étant donné les circonstances. MAIS. Vouloir masquer toutes ces questions, évidemment sensibles, en parlant d’amour me paraît pour le moins naïf. Engager ces discussions me paraît nécessaire quand on est dans une relation interraciale. Parce que, qu’on le veuille ou non, la question des enfants métis (qui sont aussi sujets à une forme d’exotisation), de racisme genré ou de sexisme racialisé apparaissent à un moment. Les relations de couple ne sont pas une bulle qui préservent de toutes les oppressions qui existent dans la société, bien au contraire. L’amour ne suffit pas.

8 réponses à « L’amour ne fait pas tout.  »

  1. Cet article est tellement important!! J’ai l’impression que l’hyper promotion du couple mixte par rapport au couple de racisés est une injonction à la dépolitisation. Il y a cette idée que les racisés en couples avec des blancs sont moins dangereux, moins comminautaristes donc evidemment représentent le futur. Etant moi même dans une relation interraciale (je suis noire, mon copain est blanc) je n’ai jamais autant eu l’impression que mon quotidien était aussi politique: Entre les clash avec des proches racistes, , les discussions passionées à base de « non chéris, on ne va pas regarder un n-ième film/série dont le héro est un mec blanc alors qu’il y a Chewing Gum sur Netflix! », l’obscession malsaine pour nos très hypothétiques futurs enfants, je n’ai pas l’impression de vivre dans le monde post-racial idéalisé par les adpetes du swirl. L’amour n’efface pas des siècles de constructions sociales par magie!!

    Aimé par 2 personnes

  2. Un article vraiment tres interessant et constructif qui fait echo au discours de mon amie, elle même antillaise! Cette cause est juste et doit etre défendue avec ces mots!! Bel article!

    J’aime

  3. Avatar de Lindsay Lentulus
    Lindsay Lentulus

    Chouette lecture, tu abordes une bonne partie des sujets qui concernent les couples mixtes. C’est une expérience un peu risquée pour moi, étant métiss, j’ai constaté qu’effectivement l’amour ne fait pas tout et surtout que l’équilibre culturel est difficile à atteindre dans ces situations. Les vrais enjeux interviennent au moment de fonder une famille (où vivre? Les prénoms à consonance euro ou africaine? Comment s’assurer de transmettre sa propre culture en cas de séparation ou décès d’un des parents?).
    J’aimerai savoir quelle place tu donnes à l’homme noir dans ton combat et si place il y a, comment tu la concilies avec le fait que tu sois en couple mixte ? Pour moi, Afro féministe ou pas, la femme noire et l’homme noir sont indispensables au combat et les deux se complètent plutôt que s’opposent. La femme noire ne peut pas se libérer si l’homme noir ne l’est pas et inversement. C’est une lutte commune (à mon avis).

    J’aime

    1. Merci beaucoup pour ta lecture et pour ton retour, qui est super intéressant, surtout vis à vis du choix des prénoms.
      Alors sur la question de la place des hommes noirs, je considère qu’elle est particulière. Je suis en couple mixte, certes, mais mes frères sont noirs, mon père est noir et j’aurais peut être un fils noir s’il n’est pas métisse, et de fait, en tant qu’afroféministe, mon combat contre la supremacie blanche et le racisme est fondamental. Cela inclue nécessairement un combat qui vise à libérer les femmes ET les hommes noirs de cette oppression. Étant afrofeministe, mon combat vise aussi à abolir un hétéro-patriarcat et qui oppresse les femmes, réduit leurs possibles et les maintient dans une position d’exploitée. Trop souvent dans certaines luttes, on a préféré favoriser un agenda plutôt qu’un autre, et mon but c’est de dire qu’on ne peut pas faire l’impasse.
      De part ma position de fille et soeur d’homme noir, je me sens aussi légitime pour CONSTRUITE nos alliances, et les transformer pour qu’elles soient viables, équitables et juste pour chacune des parties. Je pense qu’on peut clairement mieux faire pour l’instant mais ce sont des questions qui sont complexes et sensibles dans certains contextes.

      Aimé par 1 personne

  4. J’ai lu ou entendu de nombreux témoignages de femmes noires en couple avec un homme blanc, et dans plus de neuf cas sur dix elles racontent qu’elles et leur conjoint ont beaucoup plus été confrontés au racisme des noirs qu’à celui ses blancs. Or vous occultez complètement cette réalité, que vous pouvez pourtant difficilement ignorer. D’où la très grande réserve que m’inspire votre article.

    J’aime

    1. Donc, il y a un point, un seul point, qui serait peut-être inexact selon les anecdotes de votre entourage, et par conséquent c’est la totalité de l’article qui est invalidée ? Avouez plutôt que la question soulevée par l’article ne vous concerne pas et que vous n’avez nullement envie d’y réfléchir, plutôt que de nous faire perdre notre temps !

      J’aime

      1. Il ne s’agit pas des anecdotes de mon entourage, mais en grande partie de témoignages lus ou entendus sur plusieurs sites ou articles afro, français, sénégalais, comoriens ou autres. Il s’agit d’un point essentiel lorsque l’on parle de la réalité des couples mixtes aujourd’hui : désolé si cela vous donne l’impression de perdre votre temps…Et je n’ai pas dit que c’était le seul point inexact.

        J’aime

  5. Avatar de SOURIS A LA VIE ;-)
    SOURIS A LA VIE ;-)

    Bonjour,
    La question du couple mixte (Noir-Blanc ou Blanc-Noir) ou « interracial » (je désapprouve ce mot car l’ensemble des êtres humains n’appartiennent qu’à une seule race : la race humaine) est une thématique intéressante.
    Seulement il ne s’agit pas d’une nouveauté. Depuis l’origine du monde, les peuples se sont mélangés : mêmes les plus clairs ont des ancêtres plus foncés d’après les tests ADN. Donc oui, il faut faire face aux différences culturelles et aux situations inhérentes à ce genre de configuration de couples. Mais peu importe les difficultés rencontrées, un couple quel que soit sont origine et sa culture rencontrera toujours des difficultés. Les impasses insurmontées sont sans doute le reflet du niveau d’amour mutuel qui signeront ou non la fin de la relation.
    Au final, quel couple mixte ou non mixte ne rencontre-t-il pas d’épreuves?
    Cordialement,

    J’aime

Laisser un commentaire